La lumière d'hiver baignait la forêt verte, et les vifs rayons, traversant les branchages, illuminaient les environs d'une clarté d'émeraude. C'était comme si des milliers et des milliers de pierres précieuses telles que l'émeraude, d’une couleur verte, brillaient dans l'ombre des arbres. Et, sur le sol couvert de mauvaises herbes, se dessinaient de complexes motifs, insaisissables et tordus tels que des arabesques que recouvrait une neige froide et poudreuse, par endroits.
Au milieu de ces arbres, serpentant entre les troncs, trottait un loup, et pas n'importe lequel. Un loup à la fourrure d'ivoire et luisante au soleil, sous laquelle l’on pouvait apercevoir de puissants muscles rouler. L'individu était de grande taille, ses poils blancs l'accompagnant dans ses mouvements souples et légers, les muscles apparents sous ce corps finement ciselé. Il avançait ainsi, ses fines oreilles étant à l'affût du moindre bruit et ses yeux sombres balayant les environs du regard pour déceler le moindre mouvement dans les fourrés environnants.
Les ramures des arbres se faisaient de plus en plus espacées les unes des autres et les rayons lumineux du pâle soleil matinal illuminaient encore plus la forêt, éblouissant le grand blanc qui devait plisser les yeux pour avancer.
Arrivé à la lisière de la forêt, il s’arrêta, le souffle quelque peu accéléré par sa course matinale. De fines gouttes de sueur perlaient sur sa magnifique fourrure blanche malgré le froid d'un hiver rude qui le saisit immédiatement lorsqu'il cessa de courir, dégoulinant le long de ses flancs et de ses membres. Poussant un profond soupir, exprimant sa fatigue et sa lassitude envers sa morne vie qui ne lui réservait pour l'instant aucune surprise, il s'engagea dans la vallée qu'il n'avait jusque-lors jamais visitée, étant arrivé sur ces terres depuis peu. Et il se souvenait parfaitement comment il était arrivé ici, après avoir erré de nombreuses années suite à son exil. Un exil qu'il n'avait pas mérité.

Les sens du puissant loup étaient aiguisés. Il n’eut pas de mal à percevoir l’odeur d’un autre canidé, le vent l’apportant directement à ses narines largement évasés sous sa profonde et rapide respiration. Lentement et précautionneusement, il se déplaça de quelques mètres, désireux de ne pas se faire repérer de si tôt.
Mais la raison pour laquelle le grand blanc ne voulait pas que l’on s’en aperçoive était évidente, du moins à ses yeux. Il ne voulait pas trahir sa présence, pas tout de suite, alors qu’il pourrait avant toute chose prendre l’inconnu par surprise. D’autant plus que ce dernier ne semblait pas porter l’odeur de sa meute, et quiconque ne portait pas cette odeur était, aux yeux d'Enëldrin un ennemi. Une expression indéchiffrable se tailla sur le visage de marbre de l'arctique, accompagné d’un rictus et d’une lueur démoniaque à en glacer le sang.
Ses muscles tressaillaient à chaque pas qu’il faisait, le faisant vibrer de tout son long, une excitation débordante s’étant emparé de lui. Agile et bon chasseur, il aurait pu bondir sans crier garde sur celui qu’il considérait comme son ennemi, sans même avoir pu lui adresser la moindre parole et sans même avoir pu observer ses traits. Mais il ne le fit pas. Quelque chose le poussa à ne pas le faire. Il arqua son cou et plia ses pattes, essayant de se fondre dans les hautes herbes qui venaient caresser son corps luisant au pâle soleil d'hiver. Il s’agissait, et c’était sûrement incontestable, d’une louve à qui il aurait affaire, d’après l’odeur qui s’engouffrait dans son museau. Très bien. Cette rencontre s’annonçait pimentée. Comme à chaque rencontre d’Enëldrin, allez-vous me dire. Une chose était donc certaine, c'était qu'il ne s'attaquerait pas à elle. Son masque de sanguinaire avait un revers, et c'est ce côté-là qu'il revêtit, brillant séducteur qu'il était.
Avec la volupté et la grâce d'un félin, il bondit et atterrit avec légèreté sur ses quatre pattes. Il n'était qu'à quelques mètres d'elle. Son regard ne vrilla pas, il le soutint sans difficulté, un étrange sourire s'esquissant peu à peu sur son visage déterminé. Inquiétant. Il était obstiné et rien ne l'arrêterait ; Enëldrin était comme cela : une fois qu'il voulait quelque chose, plus rien ne pourrait lui barrer la route et il ferait tout pour l'obtenir. Lentement, avec une délicatesse dont on ne l'aurait pas cru capable, il se rapprocha de l’individu, sans piper mot. Les membres toujours pliés, la respiration haletante comme s'il venait de courir pendant des heures durant, Enëldrin resta caché dans les herbes qui s'élevaient bien haut, comme si elles avaient pour tentative d'espérer un jour atteindre le ciel. Un jour. Son corps massif brûlait de toute part, faisant naître ainsi des traces de transpiration sur son pelage blanc auparavant si propre et immaculé. Des secondes et des minutes, excessivement longues selon le mâle, s'écoulaient. Rien n'aurait pu le trahir. Il avait tout d'un parfait espion. Tout, en allant de ses qualités de bon chasseur jusqu'à son physique qui lui permettait de se camoufler aisément. Une étincelle de malice dansait dans son regard sombre d'assassin impitoyable, trahissant la démence et la haine qui l'avaient corrompus depuis bien longtemps déjà, rongeant son être de toutes parts à l'intérieur mais laissant son physique charismatique intact. Semblable à un ange qu'il n'était pas à l'extérieur, habité à l'intérieur par la la folie, la soif de sang et le désir de faire souffrir les autres. Contraste saisissant au sein d'un même être.